Texte 2009

Ma peinture évolue cycliquement, c'est une gestation de formes, de masses, de couleurs, qui s'imposent à moi. Chaque fois, je dois réapprendre à leur parler pour ne pas qu'elles s'échappent. Je les suis du bout des pinceaux, des crayons ou de la plume: les techniques se succèdent.
Après un cycle de peinture, j'ai glissé vers le dessin à l'encre de Chine. Mais toujours la même course effrénée se poursuit, les couches se superposent, les supports tournent sur eux-mêmes. Une goutte d'encre s'écrase sur la feuille. Le pinceau qui la traîne et la draine se dirige d'abord sans contraintes, il est libre. Les Rotrings grattent la surface du papier, la marque et la griffent. La feuille se tourne. Le tracé prend forme, suit une ligne, contourne une masse et s'y infiltre. Je me raconte une histoire et la poursuis dans le sens opposé. Le calme de la contemplation: -Comment dompter le trait, le pousser vers mes songes? Les encres ne permettent pas le retour à l'épure, la saturation est la dernière étape possible. Et je la fuis. Je ravale mes cauchemars.
Plus tard, éloignés du moment qui les a vu naître, les récits s'affirment, enchevêtrés. Les appréhender nécessite des approches successives: s'éloigner, revenir, prendre du recul et changer de point de vue. Ainsi la masse apparemment hermétique laisse place à la fiction. A cette chorégraphie du spectateur fait écho celle du regard explorant les strates du dessin, les recoins sombres où se dissimulent des figures. Lorsqu'on les approche, l'histoire prend vie, les dessins murmurent leurs secrets oniriques, personnages difformes, situations étranges, animaux chimériques, paysages lointains ou autres mystérieuses grottes habitées… Le récit émerge de ces perturbations, tel un espace de liberté pour le spectateur invité. Une goutte d'encre s'écrase sur la feuille…Elle me tire et je la suis.